Suite aux récents événements survenus dans une école Steiner-Waldorf en Alsace et auquel nous avons consacré un article, nous avons demandé au lanceur d’alerte Grégoire Perra de nous partager son analyse
Avant de traiter du sujet, pourriez-vous nous expliquer votre parcours au sein de l’anthroposophie et de ses écoles de pédagogie Steiner ?
J’ai été mis dans une école Steiner à l’âge de neuf ans. J’allais dire cette pédagogie, mais ce n’est pas une pédagogie. C’est une émanation de l’anthroposophie. C’est un moyen qu’a trouvé l’anthroposophie pour recruter des enfants. J’y ai fait toute ma scolarité. Je suis devenu anthroposophe, tout comme une partie des élèves de ma classe. Pas tous, car les anthroposophes sont malins : leur but n’est pas que tous les élèves deviennent anthroposophes. Ce n’est pas dans leur intérêt que cela se voit. Moi, malheureusement, je suis devenu anthroposophe et professeur des écoles Steiner-Waldorf. Mais j’ai eu des doutes, des questionnements. Des doutes tout d’abord sur la doctrine anthroposophique, parce que j’avais fait des études de philosophie et j’avais donc les moyens de me questionner sur les fondements de la doctrine qui est, pour une partie, présentée comme une philosophie. Et comme j’étais aussi professeur à l’Éducation Nationale, j’ai eu ensuite des doutes sur le mode de fonctionnement des écoles de Steiner-Waldorf, parce que j’avais un point de comparaison, étant dans les deux systèmes éducatifs. J’ai tout simplement mené ces doutes jusqu’au bout et j’ai témoigné dans un premier article qui est paru sur le site de l’UNADFI, “l’endoctrinement des élèves à l’anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf“, paru en 2011. Depuis, j’ai continué à témoigner. Six procédures juridiques ont été lancées contre moi, toutes gagnées par moi. A chaque fois, j’ai été relaxé. Non seulement j’ai été relaxé mais, lors du dernier jugement, les juges ont condamné les anthroposophes pour procédure abusive. Et ils les ont condamnés lourdement : 25 000 € de dommages et intérêts. Les juges ont en effet estimé qu’ils lançaient des procédures contre moi dans le seul but de me faire taire.
Comment comprenez-vous les événements récents survenus à l’école Steiner-Waldorf près de Colmar ? Que pensez-vous de ces plaintes qui sont en train d’arriver ?
Je pense qu’il s’agit-là de quelque chose qui devait arriver depuis longtemps. En fait, des faits de ce genre, j’en ai connaissance depuis au moins 30 ou 40 ans. Mais d’habitude il n’y a pas de plainte. Les parents ne portent pas plainte, tout reste entre les murs de l’école. Le fait qu’il y ait une élue qui a courageusement pris la parole pour dénoncer ces écoles et que la Miviludes a pris courageusement position dans son dernier rapport, tout cela fait que les parents ont, cette fois, osé témoigner.
De quelle manière avez-vous suivi ces différentes plaintes en Alsace ?
Je suis au courant de plaintes en Alsace, mais pas seulement en Alsace : dans toute la France ! Quand les victimes me contactent et me demandent quoi faire, elles sont généralement assez désemparées. Elles ont peur des anthroposophes et de ce qu’ils peuvent leur faire. Je les conseille et je leur dis qu’il faut faire une saisine auprès de la Miviludes. Et aussi qu’il faut avoir le courage de porter plainte. Parce que ce qui se passe quand on ne porte pas plainte, c’est que les mêmes faits se reproduisent un an ou deux ans après. Les écoles promettent que tout va s’arranger, qu’elles vont prendre des mesures, qu’elles vont assumer leurs responsabilités. Et en fait, un an ou deux ans plus tard, les mêmes faits se répètent. Ces parents qui me contactent, je les invite donc à penser aux autres, à penser à ceux qui suivent, aux enfants qui viendront apres les leurs et qui vont subir les mêmes choses.
Le point commun de ces différentes plaintes porte-t-il toujours sur les mêmes bases et griefs, ou les faits varient-ils selon les écoles ou les régions ?
C’est à peu près toujours les mêmes choses. Les dysfonctionnements des écoles Steiner sont en effet systémiques. On ne devrait même pas les appeler des dysfonctionnements, d’ailleurs. C’est un fonctionnement. Car ce sont toujours les mêmes type de problèmes qui me sont rapportés. À savoir, des violences entre enfants, des violences des professeurs sur les enfants, des agressions de nature sexuelle en tous genres, des pratiques bizarres.
Cela ne m’étonne jamais complètement, parce que je connais la doctrine anthroposophique. Et je sais que les faits qui me sont rapportés sont toujours en lien avec les préceptes de la doctrine anthroposophique.
Si je prends par exemple ce qui s’est passé à Colmar, c’est-à-dire la professeure qui a fait inhaler de la fumée à ses élèves, cela ne m’étonne pas du tout parce que, dans la doctrine anthroposophique, le feu, c’est l’incarnation du Christ Cosmique qui vit dans la boule creuse du Soleil. La professeure en question leur aurait aussi fait goûter et ingérer de la cendre : pour les anthroposophes, la cendre, c’est en effet l’incarnation du Saint Esprit. Donc goûter de la cendre, c’est communier avec le Saint Esprit. C’est complètement délirant, mais quand on connaît bien comme moi la doctrine, ce n’est pas surprenant, c’est même tout à fait logique.
Y a t’il d’autres plaintes en cours de la part d’anciens élèves ou de parents ?
Récemment, il y a eu une. Je dirais qu’il doit y en avoir cinq ou six en cours. Après, si vous me demandez sur 13 ans que je suis lanceur d’alerte, je vous répondrai que les plaintes sont beaucoup plus nombreuses. Il y en a qui n’ont malheureusement pas pu aboutir, parce que c’est une dérive sectaire complexe. Les juges ne sont pas forcément au courant de la réalité qui se cache derrière les écoles Steiner-Waldorf. Cependant, ils commencent à l’être. Il faut vraiment souligner le remarquable travail de la Miviludes, qui depuis ces dernières années a vraiment pris le soin de prévenir tous les acteurs de la vie sociale de ce qu’est l’anthroposophie et de ce que sont vraiment les écoles Steiner-Waldorf. Ce qui fait que, maintenant, les parents qui portent plainte sont pris au sérieux et que les choses peuvent aboutir. Ce qui n’était pas le cas auparavant.
Pensez-vous que ces dysfonctionnements pourraient être corrigés, ou sont-ce des dérives qui font partie intégrante de cette pédagogie et qui font partie de l’essence même de l’anthroposophie ?
Si cela pouvait être corrigé, vu la situation problématique des écoles Steiner actuellement, elles l’auraient fait. Elles l’auraient même fait depuis une dizaine d’années. En réalité, elles ne peuvent pas corriger ces dysfonctionnements. Elles ne le peuvent pas et je pense qu’elles ne le veulent pas. Parce que si vous regardez bien tous ces “dysfonctionnements”, ils font partie d’un système. Ils servent à quelque chose. Par exemple, pourquoi y a t’il des dérapages systématiques entre élèves, ou entre professeurs et élèves ? C’est parce que la proximité et l’effacement des frontières entre tous les acteurs de l’école, cela fait partie de la doctrine. Vous mettez beaucoup plus facilement en état d’emprise un élève quand vous n’avez pas de barrière vis à vis de lui, et également quand il n’y a pas de barrière entre les élèves. Pourquoi y-a-t’il sans arrêt des cas de harcèlement entre élèves qui sont rapportés ? Pourquoi est-ce à ce point répandu ? À mon avis, parce que le harcèlement fait partie d’un système qui consiste à affaiblir psychiquement les élèves et, du coup, à les rendre plus perméables à l’endoctrinement à l’anthroposophie.
Quelle est la position des pays voisins dans lesquels ces écoles se sont également implantées ? Quelles mesures ont-ils pris face à cette pédagogie ?
Il y a deux pays qui ont pris leurs responsabilités par rapport aux écoles Steiner-Waldorf, c’est l’Angleterre et la Suède. L’Angleterre a procédé à des inspections systématiques de toutes les écoles Steiner, et du coup, en a fermé un bon nombre. Quant à la Suède, elle a été encore plus loin, suite à un reportage d’un lanceur d’alerte, Jasper Lake. Il était un ancien élève d’une école Steiner-Waldorf. Au départ, il a voulu faire un reportage en faveur de son école Steiner, et a contacté des anciens élèves qui ont commencé à témoigner. Et là, il s’est rendu compte que le paradis dans lequel il s’imaginait avoir vécu son enfance n’était pas du tout réel. Au contraire, des cas de souffrance, de maltraitances et de choses abominables s’étaient passées dans l’école où il avait fait sa scolarité. Son reportage, que je le recommande, s’appelle “Les Enfants Élus“.
Ainsi, dans les pays qui ont pris leurs responsabilités, les écoles Steiner ferment ou sont menacées de fermeture. Et c’est ce qui devrait se passer en France, si l’État prennait ses responsabilités.
Est-ce que l’Education Nationale a des moyens d’action sur ces établissements?
Non, l’Education Nationale n’a pas les moyens d’agir sur ces établissements. Le système est trop opaque, trop verrouillé de l’intérieur. C’est quasiment impossible de savoir ce qui se passe vraiment dans une école Steiner-Waldorf. C’est pour cela qu’il n’y a pas d’autre solution que de les faire fermer. À chaque fois, la Fédération des écoles Steiner-Waldorf dit : “Oui, on va tenir compte des problèmes, on va améliorer les choses, faites-nous confiance !”. Quand elle ne dit pas que ce sont des fantasmes ou des élucubrations de gens malveillants (parce que c’est ça, la plupart du temps, leur ligne de défense). Mais quand ces écoles promettent de s’améliorer, elles ne s’améliorent en fait jamais. Elles font les mortes, elles se font oublier, jusqu’à ce que, de nouveau, des années plus tard, les mêmes problèmes resurgissent.
Donc non, l’Education Nationale n’a pas les moyens de réformer ces écoles, ni de surveiller ce qui s’y passe. D’ailleurs, ce ne sont pas des écoles, ce sont des émanations de l’anthroposophie. Et il faut les fermer, car les enfants y sont en danger.