La lutte contre la désinformation en ligne est en danger

La lutte contre la désinformation en ligne est en danger

© Andrew Brookes

Co-signataire de cette tribune parue dans Libération, notre collectif CitoyensDuWeb lutte contre les fake news, hoax, dérives, et subissons intimidations et harcèlements.

Tribune

Souvent menacés et harcelés, les vulgarisatrices et vulgarisateurs se sentent bien seuls face à l’ampleur du problème causé par les charlatans du Web. Des actions doivent être menées pour les accompagner dans leur démarche.

A la fin du mois de février, à la faveur d’un rapport du ministère de l’Intérieur, la problématique des nouvelles formes de dérives sectaires a fait irruption dans le débat public après des années d’un silence médiatique et politique inquiétant. Pourtant, depuis bien longtemps, des citoyennes et citoyens engagés contre ces idéologies dangereuses ont tenté de briser ce silence et d’alerter sur l’émergence des charlatans du Web et l’emprise mentale que certaines structures ou individus exercent.

Nous sommes vidéastes, blogueurs, vulgarisateurs, scientifiques, créateurs de contenus variés, et nous menons un combat citoyen pour informer sur ces pratiques, décrypter les discours, mettre en lumière les risques pour les victimes, et alerter sur les enjeux sociétaux. Nous accompagnons toutes ces alertes d’outils et de méthodes pour aider le grand public à développer son esprit critique, pour que chacun soit mieux armé face aux fausses promesses et aux conséquences dramatiques qui peuvent en découler. Ce double travail d’information et d’éducation, nous avons choisi de le mener sur le terrain où sévissent ces désinformateurs : Internet, blogs, chaînes vidéo, podcasts, réseaux sociaux… Autant de lieux où nous nous dressons contre les nouveaux obscurantismes.

Mais cet engagement n’est pas sans conséquence et les pressions subies par les vulgarisateurs sont légion. Les responsables d’une véritable emprise mentale numérique se sentant en danger font tout pour nous faire taire. Ils réussissent parfois à invisibiliser les critiques argumentées en les faisant supprimer de la Toile, au prétexte d’atteinte aux droits d’auteur. Pour eux, la partie est aisée puisque les textes de loi protégeant les victimes de ceux qui cherchent à les abuser n’ont pas encore été convenablement adaptés à l’essor du Web, laissant de telles dérives dans un flou juridique quasi total.

Cette lutte est clairement asymétrique

Quand les tentatives de censure ne suffisent pas, les désinformateurs instrumentalisent la justice pour tenter de nous intimider et de nous décourager, en multipliant les plaintes abusives et les courriers d’avocats. Certains portent atteinte à notre vie privée en rendant publiques nos identités, rompant ainsi le pseudonymat que certains d’entre nous ont choisi comme protection minimale face à la violence qui leur est opposée. Et rappelons-le, cet anonymat tout relatif ne permet en aucun cas d’outrepasser les lois.

Une fois une identité révélée, les injures s’accentuent, des pressions s’exercent auprès de notre employeur pour nuire à notre carrière professionnelle, et le harcèlement ciblé peut aller jusqu’à porter atteinte à notre famille et nos proches. Enfin, arrivent les appels à la violence et parfois les menaces de mort ; les sympathisants de ces nouveaux gourous du Net y étant souvent encouragés par leurs leaders eux-mêmes. L’objectif est clair : nous faire peur, nous faire taire et maintenir leur emprise.

Face à cette violence et à des menaces qui peuvent peser très lourd sur nos vies privées, certains vulgarisateurs ont d’ores et déjà jeté l’éponge, et d’autres le feront sans doute. Nous nous sentons souvent bien seuls face à l’ampleur du problème actuel. Parce que cette lutte est clairement asymétrique. Les personnes ou les organisations dont nous dénonçons les agissements ont des moyens financiers que nous n’avons pas. Elles ont des appuis et des réseaux que nous n’avons pas non plus.

Nouvelles formes de radicalité

Nous sommes venus combler le vide laissé par des autorités qui ont, depuis trop longtemps, laissé le champ libre à ces discours manipulateurs sur Internet et les réseaux sociaux. Nous souhaitons que les efforts gigantesques déployés depuis des années par toutes les personnes engagées dans la lutte contre la désinformation, mais aussi par les collectifs alertant sur ces dérives et accompagnant les victimes, ne soient pas oubliés.

Nos actions d’information, de sensibilisation et d’éducation au quotidien sont plus que jamais la première ligne de défense face à ces nouvelles formes de radicalité qui menacent notre cohésion sociale. Car cette lutte ne peut se mener uniquement sur un plan juridique ; on sait combien il est long et difficile de mettre hors d’état de nuire les manipulateurs et les abuseurs par cette voie-là.

Il est inadmissible que des désinformateurs professionnels puissent si facilement réduire à néant les efforts de citoyens engagés. Aucun de nous ne devrait avoir à subir cette violence et ces tentatives d’intimidation. Nos actions méritent d’être entendues, diffusées et prises en considération par les pouvoirs publics et les responsables des réseaux sociaux. L’absence d’action de ceux qui en auraient pourtant les moyens revient à faciliter la tâche de ceux que nous dénonçons, laissant quasiment libre cours à l’exploitation de la quête de sens et de la détresse humaine ; activité souvent très rentable.

Une protection en cas de besoin

Nous demandons, pour améliorer la prévention de ces dérives, la mise en œuvre dans les écoles primaires, collèges et lycées, d’actions pérennes et cohérentes pour sensibiliser dès le plus jeune âge à la désinformation et fournir les outils d’esprit critique pour l’identifier et s’en préserver.

Nous demandons, pour sécuriser nos actions dans le temps, aux plateformes de diffusion et aux réseaux sociaux de nous permettre un contact direct et humain avec eux ; en relation avec des responsables en charge des questions de désinformation et de cyberharcèlement.

Enfin, en plus de nous fournir une assistance juridique et une protection en cas de besoin, nous demandons à l’Etat, pour pérenniser et garantir nos actions, de créer une cellule nationale composée d’agents spécifiquement formés au cyberharcèlement, à l’emprise mentale et aux dérives sectaires, pour nous permettre, le cas échéant, de déposer plainte auprès de personnes conscientes des enjeux.

De telles mesures nous semblent essentielles pour que notre action citoyenne de terrain ne soit pas continuellement balayée par la violence et les manœuvres des instigateurs de graves dérives sur Internet.


Signataires par ordre alphabétique

ACult Vidéaste, Anthony Guihur Chercheur assistant en biologie moléculaire, Université de Lausanne (Unil), Aude Favre Journaliste, chaîne Aude WTFake, Association Diab’AideBernard Blandre Agrégé d’histoire, Caroline Samer Médecin et professeure de pharmacologie clinique, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Suisse, Collectif Chanology FranceCollectif l’ExtracteurCollectif FakeMedCollectif les VaxxeusesCyril Vidal Chirurgien-dentiste et vulgarisateur, chaîne Dans les dents, Elisabeth Feytit Documentariste et créatrice du podcast Méta de choc, Fact and Furious Site d’information en ligne, Fake Investigation Fact-checkeur, G Milgram vidéaste, Grégoire Perra Enseignant et lanceur d’alerte, Julien Hernandez Journaliste scientifique, Kalou Créateur de contenus, Skeptics in the Pub Valais, Karine Lacombe Infectiologue, Sorbonne-Université et chroniqueuse science, Le Radis irradié Youtubeur prévention, Linh-Lan Dao Journaliste à France Télévisions, Madeline Captain Blogueuse, Mathias Wargon Chef de service des urgences Smur, hôpital de Saint-Denis, Mathieu Edouard Rebeaud Ingénieur en biosciences, doctorant en biochimie, (Unil), Matthieu Mulot Enseignant-chercheur, Université de Neuchâtel (Unine), créateur de contenus, Mathieu Repiquet Blogueur, Miz Pauline la Mal Biaisée Professeure du secondaire, vidéaste et blogueuse, Olivier Bernard Pharmacien et vulgarisateur scientifique, blog le Pharmachien, Pascal Wagner-Egger Enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’université de Fribourg (Unifr), Suisse, Richard Monvoisin Enseignant-chercheur, Université Grenoble Alpes (UGA), Stéphanie de Vanssay Militante pédagogique et syndicale, Sylvain Delouvée Professeur de psychologie sociale, Université Rennes-2, Thibault Fiolet Blogueur et vidéaste de Quoidansmonassiette, Thomas C. Durand Vulgarisateur, directeur de l’Astec, chaîne la Tronche en Biais, Thomas Huchon Journaliste à LCI, réalisateur, formateur, Tristan Mendès France Maître de conférences associé, Université Paris et Wladimir Lapostolle Vulgarisateur, enseignant et consultant web et IA.

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