Jan van der Winden a 53 ans. Il raconte son enfance sous emprise de son beau-père anthroposophe, qui lui a fait subir des maltraitances et l’a placé de force dans un institut anthroposophique pour handicapés mentaux. Aujourd’hui, il témoigne de son histoire dans un livre, dont voici un avant-goût en exclusivité pour le Magazine Mezza.
Article traduit du journal néerlandais AD.nl paru le 11 avril 2023
Quiconque referme le livre de Jan van der Winden est étourdi pendant un moment : il est incroyable de voir tout ce qu’il peut se passer dans une vie humaine et de constater que, malgré tout, les choses peuvent s’arranger.
Tout commence lorsque Van der Winden a quatre ans et qu’il est présenté au nouveau partenaire de sa mère. Cet homme s’avère être un fervent adepte de la conception anthroposophique de la vie et intègre ces croyances dans son mariage. Jan n’a rien à voir avec ce monde “d’elfes, de gnomes et de trolls”. Il se heurte rapidement à son beau-père, qui est le directeur de l’école dans laquelle Jan se retrouve. « Parfois, une journée à l’école Waldorf commençait par une histoire merveilleuse », écrit-il, « mais une heure plus tard, j’étais traîné dans la classe par les oreilles. Mon père biologique, que je n’ai pas eu le droit de voir pendant des années parce qu’il n’était pas anthroposophe, m’avait offert un ballon de football. Ballon qui a ensuite été crevé sous mes yeux, parce que “quand on joue au football, on donne un coup de pied à la terre” ».
Un médecin généraliste prescrit des médicaments sans discernement, raconte des ragots sur ses patients et leur soutire de l’argent
Il constate rapidement que l’influence du cercle anthroposophique de son beau-père est omniprésente : du médecin de famille, le Dr Bakhoven, qui lui prescrit des antipsychotiques à l’adolescence parce que, selon son beau-père, il présenterait des troubles du comportement, aux thérapeutes auxquels il parle de ces mêmes troubles du comportement et qui retransmettent intégralement toutes les séances au beau-père. À cause de ce dernier et de son médecin, il se retrouve dans un foyer pour handicapés mentaux, puis, à 19 ans, dans une institution psychiatrique. Sa mère venait tout juste de décéder, après que Jan ait dû regarder son cancer être “traité” à l’aide d’herbes et d’huiles anthroposophiques. À l’époque, il n’y a qu’un seul endroit où il se sent en sécurité : le commissariat de police de Driebergen, où il se rend régulièrement.
L’histoire semble s’acheminer vers une spirale descendante de dépendance et d’errance dans les rues, mais Jan parvient à s’en sortir et trouve même un emploi dans la police. Cependant, les choses semblent à nouveau mal tourner lorsqu’il fonde une famille avec une femme qui s’avère avoir des contacts étroits avec son beau-père et le médecin généraliste anthroposophe. Ce dernier, sa nouvelle compagne et le père de celle-ci dirigent la Fondation Daidalos, un centre d’accueil pour les personnes souffrant de troubles psychologiques. Van der Winden découvre rapidement que la mise en œuvre est un véritable gâchis : le généraliste prescrit des médicaments sans discernement, colporte des ragots sur les patients et leur extorque de l’argent.
Avec un allié et quelques patients, il décide de dénoncer ces abus ainsi que d’autres liés au monde de l’anthroposophie, s’attirant ainsi les foudres de son beau-père et de son entourage. Ces derniers tentent de lui faire perdre son travail et de lui retirer ses enfants en l’accusant de les avoir kidnappés. Plus tard c’est l’école Waldorf où sont scolarisés ses enfants qui l’accuse d’avoir eu un “comportement menaçant”. Mais grâce à l’aide de psychothérapeutes et aux enquêtes qu’il a dû mener en tant que policier, Van der Winden parvient facilement à prouver le contraire. Il obtient un poste plus élevé dans sa profession en tant que superviseur des chefs de police et de leurs équipes. Sur une application de rencontre, il fait la connaissance de Gerrie, avec qui, trois ans plus tard, il achète une maison. Enfin la paix. Du moins pour l’instant. « Ils ne vous laissent pas tranquille, surtout si vous en savez trop sur eux », écrit-il. « Parler et écrire sur eux est un péché mortel, surtout si vous auriez dû être l’un d’entre eux ».
Ce “ils”, Jan l’appelle aussi “le clan anthroposophique”. Il tient cependant à souligner qu’il ne veut pas mettre tous les anthroposophes dans le même sac. « Je n’ai pas été maltraité, mis à l’écart, traqué et dénoncé par l’anthroposophie elle-même, mais par un groupe de personnes qui avaient toutes leurs propres raisons de le faire, avec un noyau dur de six personnes », précise-t-il dans les derniers mots de son livre. Parmi ces six personnes, son ex, son beau-père et le Dr Bakhoven occupent une place prépondérante.
Comment s’est déroulée la rédaction de tous ces événements ?
« Parfois difficile, car je suis tombée sur des choses que j’avais repoussé. Par exemple, le fait que mon ex ait pris mon beau-père comme confident lors d’une enquête du Conseil de protection de l’enfance. C’était une telle erreur, une telle menace, parce que c’est lui qui m’avait toujours qualifié de fou. J’ai discuté de tout cela avec Gerrie. “Je suis en train de lire ma propre histoire, et c’est vraiment une histoire de fous, n’est-ce pas ?” Oui, dit-elle. “C’est un peu fou, Jan.” »
Mon psychothérapeute m’a dit : il n’y a rien qui ne va pas chez toi. Je n’y croyais pas moi-même
Comment cette conclusion vous a-t-elle affecté ?
« J’ai réalisé que j’avais eu beaucoup de chance, parce que j’ai maintenant une belle vie avec Gerrie. J’ai un travail. J’ai également eu de la chance avec les personnes qui ont croisé mon chemin. Comme ma psychothérapeute, que j’ai rencontrée quand j’avais 19 ans. Rini a été la première personne à qui j’ai eu entièrement confiance, et qui m’a dit : “tu n’as rien qui cloche”.Je n’y croyais pas moi-même, c’est très difficile de penser cela quand tout le monde vous a toujours dit le contraire. »
Il est pourtant beau de constater qu’après toutes ces expériences, on peut encore en retirer quelque chose de joyeux
« J’ai toujours eu une grande confiance en moi, l’idée que j’allais y arriver. Et je recevais aussi une énergie chaque fois que j’étais attaqué par le clan anthroposophique. Alors que j’avais fait tout ce que je pouvais pour quitter l’anthroposophie et que j’avais trouvé un travail dans la police, ils sont revenus à la charge : ils m’ont dénoncé pour avoir enlevé mes enfants. C’est à ce moment-là qu’il y a eu une prise de conscience plus concrète : “vous avez raconté des conneries tellement de fois, allez, ça suffit maintenant”. »
Jan Van der Winden raconte son histoire à la table de sa cuisine. Il vit dans une maison sans chichi, ce qui est d’autant plus frappant qu’il y a une grande photo dans la cuisine, avec deux poupées en feutre de chaque côté. On y voit le jeune Jan avec deux petits enfants sur les genoux : son fils Thies et sa fille, appelée Myrthe dans le livre. Aujourd’hui, ils ont une vingtaine d’années. Thies vit toujours chez lui, mais Jan n’a plus aucun contact avec sa fille. Dans son livre, il décrit comment son ex et son entourage racontent à sa fille des mensonges à son sujet et montent même le professeur de l’école Waldorf contre lui. Par exemple, un drame est survenu dans la cour de récréation lorsque l’institutrice a refusé au père de récupérer sa fille à la sortie de classe, ce qui avait choqué Myrthe. Il est arrivé un moment où elle n’a plus voulu le voir. Il s’agit d’une “répudiation parentale”, explique son avocat à l’époque. Après plusieurs tentatives pour la revoir, Jan cesse son combat. « C’est délibérément que je ne cherche plus à entrer en contact avec elle », dit-il. « À chaque fois que je me rapproche d’elle, elle subit une pression supplémentaire. Il n’est pas bon de toujours se battre. Je n’aide pas ma fille ainsi et je ne pense pas que je la verrai plus vite avec ça. Mais c’est terrible. »
En tant que lecteur, nous nous demandons pourquoi vous vous engagez dans une relation avec une personne du milieu anthroposophique, après tout ce que vous avez déjà vécu.
« Je me suis posé cette question des centaines de fois. J’ai trouvé la réponse dans un livre de Peter Levine, Le tigre s’éveille. Les gens qui ont vécu quelque chose de traumatisant recherchent certaines situations à un moment donné, pour mieux en sortir. C’est vrai pour moi : je me suis retrouvé dans un environnement très similaire à celui de mon enfance, avec des personnes que j’avais déjà rencontré auparavant. Mais depuis, j’ai eu la possibilité d’arranger l’histoire et de comprendre ce qu’était mon enfance. Car j’ai vu qu’il n’y avait pas que moi. À la Fondation Daidalos, le Dr Bakhoven a fait à d’autres la même chose que ce qu’il m’avait fait. D’une manière très perverse, lui et ses collègues ont profité des patients, en les amenant à toutes sortes de choses : abus, troubles. Cela permettait d’extorquer beaucoup d’argent à ces personnes vulnérables. C’était tellement cruel, méchant et sale. Ce n’est pas pour rien que la fondation a été fermée après les enquêtes de Twee Vandaag et de l’Inspection de la santé publique. »
Vous écrivez que le clan ne vous lâchera jamais. Ne craignez-vous pas que l’on vous fasse des tracas à la sortie de votre livre ?
« Lorsqu’il est devenu clair que ce livre allait sortir, l’éditeur a immédiatement reçu des courriels de menace de la part de ce clan. Alors non, ils ne me lâcheront pas. Il y a de fortes chances qu’ils intentent bientôt des procès pour ce que j’ai écrit. Je ne le souhaite pas, mais cela fait partie de la responsabilité d’écrire un livre. Je sais que des gens ont été complètement détruits par le mouvement anthroposophique, c’est pourquoi je me sens obligé de raconter mon histoire. C’est mon côté policier, je vais jusqu’au bout. »
Je suis tellement habitué aux menaces que je sais que je dois toujours être vigilant
Dans votre vie, la police a toujours été votre refuge.
« Oui, je peux dire que j’ai rejoint la police pour ma sécurité. J’étais désemparé dans mon enfance. Et au poste de police, j’ai reçu de l’attention, de la reconnaissance. C’était l’endroit où je voulais être. On peut dire qu’ils ont été comme un papa et une maman pour moi. Ils représentent quelque chose de très grand, c’est plus qu’un travail. L’autre jour, il y avait deux officiers de police à la table ici : ils sont au courant de mon livre et savent qu’il peut à nouveau déclencher des réactions. Ils sont venus en parler. Cela m’a beaucoup plu. J’ai tellement l’habitude des menaces que je les ignore parfois. Je suis sensible à l’atmosphère, aux expressions faciales, parce qu’enfant, j’étais toujours préoccupée par ma sécurité. Une sorte d’antenne naturelle. C’est tout à fait normal. »
Ce n’est PAS normal, n’est-ce pas ?
« Non, mais c’est inhérent à la vie que j’ai menée jusqu’à présent. Pourtant, je ne me méfie pas des gens : j’ai désappris cela, par exemple en allant dans un institut de pleine conscience. J’y ai appris à me remettre en question en permanence : les faits sont-ils exacts ? Ma peur est-elle vraiment réelle ? Aujourd’hui, il se peut même que je sois trop confiant. Mais je me dis qu’il vaut mieux se faire avoir de temps en temps que de perdre confiance dans les gens. Ce n’est qu’à ce moment-là que je suis vraiment perdu. »
D’enfant sectaire déclaré fou, emprisonné et traqué, à spécialiste de la police
Gekke Jantje, paru chez Growing Stories
Source : Jan a souffert de son beau-père anthroposophe : “Ce mouvement a détruit des gens”