Le 1er juin deux plaintes ont été déposées pour mise en danger de la vie d’autrui par des parents d’élèves de l’école Steiner-Waldorf à Colmar. Ils accusent une enseignante d’avoir exposé leurs enfants à une expérience de chimie potentiellement dangereuse et nocive. Les autorités ont rapidement réagi, envoyant des gendarmes sur place en fin d’après-midi.
Le 30 mai a eu lieu une réunion parents-professeur ordinaire à l’école Steiner-Waldorf Mathias Grunewald. C’est avec une décontraction déconcertante que l’enseignante a débutée la rencontre en déclarant aux parents présents : “J’imagine que vous avez entendu deux ou trois choses qui expliqueraient l’odeur particulièrement intense qui se trouve dans cette salle de classe ce soir. Je vous expliquerai dans la soirée pourquoi on a fait un feu dans la classe, chose qui est totalement interdite, évidemment.[1]“
L’on pourra s’étonner de l’attitude désinvolte avec laquelle l’enseignante informa les parents ne pas respecter les normes de sécurité établies en boutant le feu à des feuilles en salle de classe.
« Un élève a été chargé de chercher davantage de feuilles vertes, pour provoquer davantage de fumée. »
Un parent d’élève
Après avoir énuméré divers points, l’enseignante a abordé le cours de chimie déroulé le matin-même. L’objectif affiché de son approche pédagogique consiste à avoir un “effet sur les sentiments et la volonté[1]” des enfants en les mettant en “état d’expérience sensorielle pure”. Puis a déclaré aux parents présents : “En chimie, c’est fabuleux, c’est pourquoi je les ai enfumés ce matin. On leur fait vivre la chose avec tous leurs sens. Ils ont toussé, ils ont craché, ils avaient des larmes, on voyait plus grand chose dans la pièce.[1]“
Une pédagogie ésotérique
Cette école se base sur les conceptions éducatives fondées par l’occultiste et mystique autrichien Rudolf Steiner (1861-1925). Les écoles Steiner-Waldorf sont souvent critiquées pour leurs assises pseudoscientifiques issues du courant religieux et ésotérique de l’anthroposophie.
La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) alerte régulièrement sur l’anthroposophie et ses écoles pour risques de dérives sectaires et d’emprise mentale.
Un occultisme dissimulé
L’enseignante a ensuite justifié son approche contestée en mettant en avant les aspects fascinants de la chimie, déclarant : “La chimie, c’est la science qui transforme les matières. On étudie ces métamorphoses, ces rencontres entre les substances et ce qu’il peut arriver[1]“, puis en soulignant que l’adolescence, période de transformation pour les élèves, justifiait son expérience immersive de la fumée, car cela résonnait avec leur propre métamorphose.
« Il y a un extincteur. Rouler à 130 sur l’autoroute, c’est aussi dangereux. Mais là, on n’y va pas de manière inconsciente. (…) Il y a eu deux fois le feu dans l’école, et ce n’était jamais pendant le cours de chimie.[1] »
« On rentre dans un monde où la matière change, et on peut plus se fier de la même manière à elle. (…) On étudie la chimie à cet âge parce qu’en eux même, ils vivent une métamorphose avec l’adolescence. Et ces expériences vont faire écho à ce qu’ils vivent. Même si on ne va pas le nommer.[1] »
On y retrouve ici incontestablement les concepts ésotérique de l’anthroposophie. Notamment, lorsqu’elle eut énoncé aussi que “le feu est entre l’obscurité et la lumière, et qu’elle retrouve ceci en l’humain. On a ce feu intérieur, et on peut ressentir la part de lumière et de l’obscurité qu’on a en nous, toutes ces choses-là qui font systématiquement écho à l’être humain.[1]” D’autant plus lorsqu’elle commenta avoir fait goûter les cendres aux enfants pour qu’ils puissent sentir la différence des combustions, et qu’après-avoir étudié la séparation des gaz et des cendres “on a la réunification entre les deux, on a le sel. Il y a de nouveau une unité que l’on retrouve, avec quelque chose de neutre, de calme, d’harmonieux, le sel.[1]”
Cendre et sel, un rituel anthroposophique pour se connecter au Christ et au Saint-Esprit
Rudolf Steiner estime que la science moderne a tort de considérer nos sens comme subjectifs. Pour lui, nos sens nous mettent en relation avec les essences spirituelles des choses.
Or, selon l’anthroposophie, la cendre est la manifestation sensible du Saint-Esprit (dont la représentation anthroposophique est Lucifer). En goûter, c’est communier avec lui.
D’ailleurs, le baptême de la Communauté des Chrétiens de l’anthroposophie se fait avec de l’eau (le Père), du sel (le Fils) et de la cendre (le Saint-Esprit).
Il existe en occultisme un principe (…) avant que la table de laboratoire soit devenue un autel, et l’expérience chimique un acte sacramentel (…) Car dans l’être vivant pénètre lors de sa création quelque chose du créateur lui-même.
– Textes de Rudolf Steiner, dictionnaire de Christologie à l’intention des étudiants en Science spirituelle, Maurice Nouvel
Dans L’Initiation ou la Connaissance des Mondes Supérieurs, Steiner décrit une “épreuve du feu”, étape ultime du candidat à l’initiation qui lui permet d’accéder à la clairvoyance, d’acquérir une certaine forme de “courage”, faisant de lui par conséquent un initié. Se confronter au feu est donc un rituel initiatique.
Pour beaucoup d’hommes, la vie elle-même constitue dans son ensemble une initiation par le feu, plus ou moins consciente. (…) Celui qui a passé par de telles expériences est souvent sans le savoir un initié. Il faut un rien pour ouvrir ses yeux et ses oreilles et faire de lui un clairvoyant.
– Rudolf Steiner, L’Initiation ou la Connaissance des Mondes Supérieurs, p. 46, Publications Théosophiques, 1912
Mise en danger des élèves ?
Selon les parents qui ont porté plainte, l’enseignante aurait délibérément interdit aux enfants de s’asseoir pour expérimenter pleinement la fumée et encouragé à y mettre le nez dedans. Elle aurait néanmoins averti aux élèves asthmatiques que s’ils avaient une crise, ils pouvaient sortir.
L’un des parents nous informa aussi que cet événement n’est pas un acte isolé. En effet, un autre enseignant de l’école, qui s’avère également être un adepte influent de l’anthroposophie et de sa pédagogie, aurait été l’auteur d’une expérience similaire il y a deux ans.
Choqués par ces pratiques et les témoignages de leurs enfants, les parents ont également ouvert une saisine auprès de la Miviludes. L’intervention rapide de la gendarmerie au collège des professeurs témoigne du sérieux de la situation.
« Nous avons connaissance de deux plaintes déposées à l’encontre d’un de nos professeurs. L’équipe de direction a pris les choses en main et étudie activement la situation pour analyser ce qui s’est passé et pour déterminer les mesures à engager. L’école se tient bien sûr à disposition des autorités compétentes. En attendant d’avoir éclairci tous les éléments de cette situation, nous ne sommes pas en mesure de donner plus d’informations et souhaitons que la justice puisse suivre son cours sereinement. »
Réponse de la direction de l’école au journal Rue89 Strasbourg, 06 juin 2023
Mise à jour 22 avril 2024
Quelques mois plus tard, une inspection a été menée par l’Éducation Nationale. Le rapport a révélé que 35 % des enseignants de l’établissement exercent sans l’autorisation requise. Notamment, cette professeure qui dispensait les cours de chimie était autorisée à enseigner uniquement la musique.
Nous avons essayé de contacter l’établissement scolaire, mais nous n’avons pas encore reçu de retour [2].
Ce nouvel événement (lire encadré ci-dessous) soulève des questions quant à la gestion de la santé, de la sécurité des élèves, et les risques potentiels liés aux méthodes d’enseignement au sein de cet établissement scolaire ainsi que dans les autres écoles de pédagogie anthroposophique.
[ 1 ] Toutes les citations de l’enseignante proviennent de la transcription d’un des parents.
[ 2 ] Le cas échéant, nous mettrons à jour cet article.
( ! ) Notre but n’étant en aucun cas de porter tort à l’enseignante, mais de porter à la connaissance du public des propos et des faits qui, selon nous, sont révélateurs de l’approche pédagogique anthroposophique dans son ensemble. Nous avons donc pris soin de ne pas révéler son nom. Deux plaintes ayant été déposées, il nous paraît aussi important de rappeler que les faits et propos que nous relatons ici sont susceptibles d’être modifiés par d’autres témoignages que ceux dont nous avons eu connaissance.
Comment s appelle les parents d élèves qui on porter plainte
Bonjour, merci de votre intérêt.
Comme vous pouvez le lire dans les annotations ci-dessus, nous avons choisi de ne pas dévoiler l’identité de l’enseignante, mais aussi celle des parents d’élèves et des plaignants.
C est qui les parents qui se sont plaints
Comme je viens de vous répondre, nous ne dévoilons pas ce genre d’informations.
Merci de ne pas insister.